L’album démarre dans le fracas avec «NWO» (référence au New World Order proclamé par le président Bush) : un pandémonium de samples de sirènes et de cris, de rythmes de piston et de guitares qui lacèrent. Le titre s’achève avec des paroles de Bush senior ( «What we are looking at is : Good & Evil, Right & Wrong» et «A new world», répété obsessionnellement jusqu’à cette impression de dénonciation : le voilà ce nouveau monde, brutal et déshumanisé, auquel la musique fait écho). D’emblée, nous voilà projetés dans l’univers sonore de Ministry : martial, lourd et répétitif jusqu’à en devenir hypnotique ; un maelström de guitares thrash, vociférations distordues, boîtes à rythmes furibardes - le tout sous un déluge de samples moins anodins qu’ils n’y paraissent. Sur le beat techno de «TV II», Al Jourgensen raille la toute-puissance de la télé («tell me something I don’t know (...) promise everything, take it all away»). Avec «Hero», c’est la guerre du Golfe qui est crûment évoquée, dans un texte craché avec révolte, débordant d’un cynisme caustique («the hero marches alone across the Highway of Death», «it’s not a matter of rights, it’s just a matter of war»). Mention spéciale au solo speed metal façon Slayer. S’ensuit le très déjanté single «Jesus built my hotrod» (paru en 1991), auquel à collaboré le démentiel Gibby Haynes, frontman des Butthole Surfers. Quant à «Psalm 69», il s’agit d’un titre débordant d’une ironie blasphématoire («the invisible piss of the Holy Ghost comes down like acid rain») rehaussée par des samples de chœurs religieux, prêches et témoignages de croyants («I feel like my heart’s being touched by Christ»).
Globalement dominé par une frénésie rythmique, l’album s’ouvre aussi à d’autres sonorités. «Scarecrow», qui dure plus de 8 minutes, est marqué par un tempo plus lent, une lourdeur et une noirceur quasi-gothiques. «Corrosion» et «Grace», qui clôturent l’album, nous mènent en territoire indus pur et dur. Bien qu’exempts d’éléments metal, ces deux derniers, ne déparent pas du reste de l’album : chaotiques, froids et machinaux. Mais le sommet de l’album est certainement l’effrayant «Just one fix», peut-être le tout meilleur titre qu’ait composé le groupe à ce jour. Le son de l’enfer intérieur, une musique de drogué : rythmique écrasante de marteau-piqueur, guitares et échos pervers. Parcouru d’une frénésie de camé en manque, ce morceau soulève un sentiment d’inéluctable, l’impression de foncer droit dans le mur. «Just one fix» s’achève par un riff évoquant une spirale descendante (c’est le riff toxique et sous amphé de «Into the void» de Black Sabbath). C’est Requiem for a dream concentré en 5 minutes et 11 secondes de pur vertige.
Bilan global: Neuf morceaux, neuf visions apocalyptiques, neuf images d’une Amérique décadente («pictures of our lost morality», «Scarecrow»), corrompue par le militarisme, la drogue, la violence, la propagande médiatique, le mensonge politique et l’hypocrisie religieuse. Avec ce disque bruitiste, violent, moqueur et blasphémateur, Ministry balafre sans ménagement la face souriante d’une Amérique triomphante, et accouche d’un sommet de l’indus-metal, sans doute jamais égalé. Extrême dans sa pertinence et dans sa violence, cet album est, dans un esprit punk, l’expression de la mauvaise conscience de son époque. Ce que devrait être tout vrai disque de rock’n’roll. Un must!!!!

