Le CR en temps record
Judas Priest... Comme tout fan de metal traditionnel, ce groupe fait partie de mes références et j'ai un immense respect pour leur carrière de plus de 50 ans maintenant. Un groupe qui a su évoluer, se réinventer quasiment en permanence et écrire tout au long des décennies des albums et des morceaux qui ont marqué l'histoire du heavy metal, et du metal d'une manière plus générale. Qu'est-ce que j'ai pu les écouter !
Pourtant, depuis une dizaine d'années, je suis devenu très critique sur ce groupe. Parce que depuis 2014 environ, ils n'ont fait que me décevoir. Ca a commencé avec "Redeemer of souls" que j'ai trouvé convenu au possible, peu inspiré... surtout venant après un album très ambitieux comme l'était "Nostradamus". Puis au Wacken 2015 où, alors qu'ils étaient la tête d'affiche, ils ont livré une prestation sans saveur et surtout, sans envie. Je les ai revus deux fois à ce festival et, même si c'était mieux, ça me laissait toujours une impression bizarre. Notamment en 2022 quand Rob Halford changeait plusieurs fois de micro suivant les morceaux et le type de registre vocal qu'ils nécessitaient. Pas très naturel, tout ça... Et puis je ne sentais pas une grosse complicité ni une grosse cohésion dans le groupe. Ca jouait carré mais on ne sentait pas qu'ils séclataient tous ensemble sur scène. Plus le fait qu'ils s'acharnaient à jouer "Painkiller" alors que Rob n'y arrivait plus. Niveau albums sortis après "Redeemer of souls", "Firepower" s'est avéré sympa mais pas forcément non plus mémorable et surtout très "fan service" et pilotage automatique. Par contre j'aime bien le tout dernier, "Invincicbe shield", même si je ne sais pas s'il fera partie des classiques du groupe sur le long terme. Malgré tout, cela fait une décennie que je pense que Judas Priest, comme beaucoup d'autres vieux groupes, devrait arrêter pour ne pas entacher sa légende. Qui leur en voudrait ? Ian Hill a 74 ans, Rob Haldord en a 73, et Glenn Tipton est encore plus âgé et est atteint de la maladie de Parkinson. Une retraite serait bien méritée pour eux.
C'est en tout cas dans cet état d'esprit de fan déçu, pas franchement favorable au groupe, que j'ai pris ma place pour ce concert en me disant quand même que je pourrais avoir une bonne surprise (je n'étais pas présent au Hellfest 2025 mais tout le monde m'a dit du bien de leur prestation). Et puis un concert dans la cité de Carcassonne, c'est quand même à voir, rien que pour le cadre médiéval. Bref, je n'avais pas plus d'attente que ça, et je vais au final être comblé bien au-delà.
Dans le cadre majestueux du théâtre Jean-Deschamps, adossé aux remparts de la Cité, Judas Priest a livré une performance qui restera gravée dans la mémoire des 3 000 spectateurs présents (car la jauge affiche complet). Les premières notes de "War Pigs" (en hommage à Black Sabbath) en intro résonnent dans l’antique théâtre Jean-Deschamps, transformé pour l’occasion en cathédrale du riff. Le public, multi-générationnel et multi-national (des Français du sud et d'ailleurs, mais aussi beaucoup d'Espagnols, et même quelques Anglais et Allemands), répond d’une seule voix. Même si c'est un amphi où toutes les places sont assises, il va y avoir une ambiance formidable. Nous étions très bien placés, en haut dans l'axe avec une vue plongeante sur la scène, et personne derrière nous. De ce fait, nous avons fait tout le concert debout comme si nous étions dans la fosse !
Après cette intro, Judas Priest débarque en force sur un "All guns blazing" inespéré. Et quasiment tout l'album "Painkiller" va être joué ce soir. Et ça va être bien joué ! Avec un groupe en forme, carré comme toujours mais surtout visiblement motivé et bien plus communicatif que toutes les fois où j'ai pu les voir. Rob Halford, silhouette de cuir et de métal, lunettes noires et regard acéré, mène la messe avec une présence toujours aussi imposante. Il n'est certes plus très mobile mais toujours très charismatique. Et surtout, il parle au public, contrairement aux dernières fois où j'avais vu Judas Priest où le Metal God laissait Scott Travis s'adresser à la foule à sa place derrière sa batterie pour meubler entre deux morceaux.
Le groupe enchaîne avec une setlist impeccable, piochant à la fois dans les classiques intemporels ("Hell Patrol", "Freewheel Burning", "A Touch of Evil", "Night Crawler", "You've Got Another Thing Comin'"...) et dans des morceaux plus rares mais tout aussi percutants comme "Solar Angels". Le dernier album Invincible Shield n’est représenté que par trois morceaux : "Giants in the sky", "Gates of Hell" et surtout "The serpent and the king". Celui-ci s'est avéré une excellente surprise : autant sur album je ne le trouve pas fantastique, autant en live c'est un pur hymne avec un refrain d'une grande efficacité.
Musicalement, Judas Priest est en état de grâce. Richie Faulkner électrise la scène avec des solos fluides, nerveux, et habités. Scott Travis martèle ses fûts avec une précision chirurgicale, pendant qu’Ian Hill, fidèle à lui-même, tient la ligne de basse avec une sobriété puissante. Rob Halford, malgré ses 73 ans, impressionne par sa justesse vocale. Et je dis ça alors que je ne cessais de dire, depuis une dizaine d'années, que le Metal God n'avait plus de voix, qu'il n'y arrivait plus et qu'il fallait qu'il arrête ! Là, clairement, il est bon. Et il est même meilleur ce soir-là dans les screams, les registres haut perchés, que dans les médiums.
La mise en scène est belle, redoutablement efficace. Le Devil's Tuning Fork, célèbre trident symbole de judas Priest, trône au bas des remparts pour un effet de grande classe. Il y a quatre écrans géants qui projettent différentes images illustrant chaque chanson. Mais sans jamais voler la vedette à la musique. L’ambiance, elle, est électrique, avec un public à fond venu communier avec ces légendes du metal britannique. D'ailleurs, en bas, tout le monde est débout et ça pogote. La sécurité voulait les en empêcher mais ils ont fini par renoncer !
Le groupe conclut comme d'habitude avec le retour sur scène de Rob Halford avec sa Harley et sa cravache (c'est toujours sympa mais ça n'a plus vraiment le même effet que quand Rob était plus jeune et qu'il courait partout...) pour le double rappel "Hellbent for leather" et "Living after midnight" et un groupe qui quitte la scène avec "We are the champions" en bande sonore et les écrans affichant le message "The Priest will be back". C'est beau !
Voilà un concert fabuleux, bien au-delà de mes espérances. Mais c'est ce que je demande aux groupes que je critique : qu'ils me détrompent et me surprennent en bien ! Et Judas Priest y est parvenu de manière magistrale. A chaque fois que je vois des groupes comme ça qui ont passé les 70 ans, je me dis que c'est peut-être la dernière fois que je les vois. Si c'est le cas, j'en garderai un très beau dernier souvenir pour ce magnifique chant du cygne... Si ça en est vraiment un !