[LP] KISS : Creatures of the Night (1982)
Posté : 28 juin 2006, 18:13
KISS : CREATURES OF THE NIGHT (1982).
Je me souviendrai toujours de ce jour de 1982. Je regardais l’une des rares émissions qui diffusaient régulièrement des clips. A cette époque, ceux-ci avaient un charme certain dû à leur côté artisanal. De temps à autre émergeait une vidéo mettant en scène un bon groupe de hard : AC/DC, Scorpions, Judas Priest, Iron Maiden…
Cette fois, ce fut le nouveau Kiss intitulé I Love It Loud. On voyait un adolescent américain assez typique de la classe moyenne de l’époque se lever de table durant le repas familial, sous l’œil désapprobateur de ses parents et s’agenouiller devant le poste de télévision qui diffusait… du Kiss, bien sûr. Le groupe était grandiose et maquillé et c’est Gene Simmons qui poussait la chansonnette… quoique ce dernier terme ne soit pas franchement adéquat. D’étranges phénomènes n’allaient pas tarder à se produire dans la maison au grand dam du père et de la mère. Littéralement fasciné par la prestation des Kiss, l’ado ne se rendait compte de rien. Il est vrai que voir Paul Stanley prendre le solo, c’était quelque chose...
Les dernières images montraient le garçon en train de quitter la maison sous l’œil inquiet de papa et maman. Ceux-ci s’apprêtaient à lui demander des explications mais le regard de leur rejeton leur imposa le silence. Celui-ci s’était transformé en une sorte de zombie aux yeux vides et phosphorescents. Dans la rue circulait un groupe de jeunes gens dans le même état que notre héros : d’autres victimes de Kiss… La dernière image nous montrait le groupe tel qu’il apparaît sur la pochette de l’album Creatures Of The Night : bleuâtre et les yeux lumineux. J’aime cette photo inquiétante qui est en totale adéquation avec le contenu (elle est pourtant mensongère sur un point : Ace Frehley, qui est présent sur cette photographie, ne joue pas sur Creatures… Une autre photo allait remplacer celle-ci lors de sa réédition : le groupe y apparaissait démaquillé en compagnie de Bruce Kulick ! N’importe quoi !) .
La critique française avait plutôt bien accueilli l’album : « Le nouveau Kiss est un choc, un réveil brutal, colossal… Kiss renoue avec le hard tonitruant et barbare. (…) Ce disque ranime la flamme », écrivait Jean-Sylvain Cabot dans le Rock&Folk de novembre. Dans Best, Hervé Picart estimait qu’après les expérimentations de The Elder, le groupe en était revenu à ce qu’il savait faire le mieux : un heavy metal dépourvu d’ambitions arty.
Je ne tardai pas à me procurer le Kiss cuvée 82.
Dès la première écoute, je constatai que nos éminents critiques de la presse rock généraliste avaient entièrement raison. I Love It Loud n’était pas une exception. Le contenu de Creatures... n'avait rien à voir avec la période Dynasty : fini le disco, exit la pop…
Cette fois, Kiss se rapprochait même de la puissance de l’un des groupes les plus heavy de l’époque : le Motörhead du père Lemmy ! Le son était lourd, puissant, fracassant. Jamais le groupe n’avait sonné ainsi. On était plus proche de l’esprit de la NWOBHM que du hard américain de l’époque ! Merci à l’avisé producteur Michael James Jackson !
Il est étonnant de constater que le très pesant Rock’nRoll Hell a été écrit par Bryan Adams et Jim Vallance (tout comme l’impressionnant War Machine qui clôture l’album).
Kiss n’avait pas sonné aussi méchamment depuis Rock’n’Roll Over. La différence, c’est qu’avec Creatures…, le groupe a (enfin !) fait son entrée dans les années 80. Ici, rien ne sonne « années 70 ». Saluons surtout la cohésion de l’ensemble. Nous n’avons pas là une chanson de Paul suivie d’une chanson de Gene, évoquant une compilation maladroitement agencée. Non ! Ce disque est cohérent. Il nous propose 4 titres de Paul et 5 de Gene (c’était avant que celui-ci ne sombre dans une longue hibernation qui durera 10 bonnes années). Les compos de Paul sont excellentes : Creatures Of The Night, le morceau d’ouverture est un hymne irrésistible et très heavy, Keep Me Comin’déménage bien aussi (Paul a rarement chanté ainsi,partant dans des aigus d’anthologie) et Danger termine efficacement la face A d’origine. Quant à I Still Love You, c’est un modèle de ballade hard qui ne sombre jamais dans la mièvrerie : les solos de gratte sont fantastiques et on a droit à 6 minutes de pur bonheur.
Mais la vedette principale de Creatures…, c’est Gene. On le sent réellement concerné et impliqué. Sa basse est menaçante et bien mise en avant. J’ai déjà dit un mot de Rock’n’Roll Hell qui aurait pu sonner comme un clone du Juke-Box Hero de Foreigner avec lequel il présente quelques similitudes. Imaginez donc un Foreigner qui se la jouerait méchamment heavy. Saint And Sinner est une bonne chanson aussi avec des chœurs entraînants et de bonnes parties de guitare. C’est cependant sur la face B que tout cela va atteindre son paroxysme : I Love It Loud est l’hymne barbare et destructeur dont j’ai longuement parlé plus haut : un morceau taillé pour la scène. Un classique du groupe ! Le titre résume à lui seul l’esprit metal.
Les deux dernières compositions, Killer et War Machine sont très lourdes et intenses.
A l’arrivée, il s’agit de l’un des meilleurs Kiss. Ce qui pouvait surprendre les vieux fans, c’étaient les solos de guitare : Ace pouvait-il avoir à ce point changé de style au point d’en être méconnaissable ? La réponse se trouvait dans les crédits : I Love It Loud, I Still Love You et Killer avaient été composés par un certain Vincent Cusano. Ce Monsieur allait jouer un grand rôle dans le Kiss de cette période. Cusano, guitariste de son état, allait remplacer Ace Frehley, alors dans la stratosphère. C’est lui qui joue sur la plupart des chansons de l’album. Son jeu est plus proche de celui d’un Randy Rhoads que d’un Frehley (cela n’est pas un jugement qualitatif, j’adore Ace). C’est Vinnie qui a apporté cette modernité au groupe et qui lui a permis de rivaliser avec les nouveaux venus de l’époque, Vinnie et son jeu sombre et torturé, Vinnie et ses compositions efficaces. Il n’allait d’ailleurs pas tarder à devenir officiellement membre du groupe sous le pseudo de Vinnie Vincent. Hélas pour lui, il allait bientôt définitivement basculer du côté obscur de la Force et succomber irrémédiablement à ses sombres démons intérieurs. Ses jours dans Kiss étaient comptés.
L’autre maillon fort de ce LP, c’est bien sûr le regretté Eric Carr dont le grand talent de batteur n’a jamais été plus éclatant qu’ici. Sa frappe lourde et puissante n’est pas pour rien dans la réussite du disque (merci à Niko Bolas et Rich Bosworth d’avoir su capturer les parties de batterie avec tant de talent).
Finissons sur une note négative : Creatures Of The Night a été enregistré dans des conditions très particulières : échec commercial des deux albums précédents, désengagement de Frehley, impossibilité (pour des raisons contractuelles) d’annoncer officiellement son départ, décès brutal de Neil Bogart, le patron de Casablanca…
Tout cela ne permit pas à ce fantastique album de recevoir l’accueil qu’il aurait mérité : Creatures… fut, comme l’admet Gene Simmons (qui l’adore), l’un de leurs plus gros bides commerciaux. Initialement, il ne fut même pas disque d’or aux Etats Unis (il ne recevra cette distinction qu’en 1994 soit 12 ans après sa sortie!) ... Enfin, que tout cela ne nous empêche pas de reprendre en chœur :
« Guilty ‘till I’m proven innocent
Whiplash heavy-metal accident
Rock on, I wanna be president
I love it loud, I wanna hear it loud
Right between the eyes”
En guise de conclusion, je me permets de reprendre le commentaire que j’avais laissé sur Nightfall sous un autre pseudo :
Creatures... est incontestablement l'une des pièces maîtresses du heavy- metal du début des années 80. A mon avis, il s'agit du 1er disque de Kiss à mériter cette appellation de heavy- metal, le groupe oeuvrant plutôt jusque-là dans le hard rock. Il s'agit du premier album d'une longue série à proposer une alternance de compos de Gene Simmons et Paul Stanley (les deux derniers membres d'origine du groupe). Contrairement à certains disques postérieurs sur lesquels Gene et Paul ne seront pas vraiment sur la même longueur d'ondes (Animalize, Asylum), ce qui frappe ici, c'est la cohésion de l'ensemble, ainsi que la force des morceaux. Stanley propose notamment les excellents Creatures of the night, Keep me comin' et le magnifique I still love you. Quant à Gene, il a rarement été aussi inspiré que sur Saint and sinner, Rock'n'roll hell, Killer et War machine. Ces morceaux sont lourds et dévastateurs. Les parties de guitare de Vinnie Vincent sont impressionnantes (même s'il ne prend pas tous les solos). N'oublions pas , bien sûr, l'hymne I love it loud, l'un des titres les plus emblématiques du groupe (le clip était très réussi). On regrettera que l'échec commercial initial de cet album ait amené le groupe à proposer un son un peu plus léché sur les deux albums suivants...
Je me souviendrai toujours de ce jour de 1982. Je regardais l’une des rares émissions qui diffusaient régulièrement des clips. A cette époque, ceux-ci avaient un charme certain dû à leur côté artisanal. De temps à autre émergeait une vidéo mettant en scène un bon groupe de hard : AC/DC, Scorpions, Judas Priest, Iron Maiden…
Cette fois, ce fut le nouveau Kiss intitulé I Love It Loud. On voyait un adolescent américain assez typique de la classe moyenne de l’époque se lever de table durant le repas familial, sous l’œil désapprobateur de ses parents et s’agenouiller devant le poste de télévision qui diffusait… du Kiss, bien sûr. Le groupe était grandiose et maquillé et c’est Gene Simmons qui poussait la chansonnette… quoique ce dernier terme ne soit pas franchement adéquat. D’étranges phénomènes n’allaient pas tarder à se produire dans la maison au grand dam du père et de la mère. Littéralement fasciné par la prestation des Kiss, l’ado ne se rendait compte de rien. Il est vrai que voir Paul Stanley prendre le solo, c’était quelque chose...
Les dernières images montraient le garçon en train de quitter la maison sous l’œil inquiet de papa et maman. Ceux-ci s’apprêtaient à lui demander des explications mais le regard de leur rejeton leur imposa le silence. Celui-ci s’était transformé en une sorte de zombie aux yeux vides et phosphorescents. Dans la rue circulait un groupe de jeunes gens dans le même état que notre héros : d’autres victimes de Kiss… La dernière image nous montrait le groupe tel qu’il apparaît sur la pochette de l’album Creatures Of The Night : bleuâtre et les yeux lumineux. J’aime cette photo inquiétante qui est en totale adéquation avec le contenu (elle est pourtant mensongère sur un point : Ace Frehley, qui est présent sur cette photographie, ne joue pas sur Creatures… Une autre photo allait remplacer celle-ci lors de sa réédition : le groupe y apparaissait démaquillé en compagnie de Bruce Kulick ! N’importe quoi !) .
La critique française avait plutôt bien accueilli l’album : « Le nouveau Kiss est un choc, un réveil brutal, colossal… Kiss renoue avec le hard tonitruant et barbare. (…) Ce disque ranime la flamme », écrivait Jean-Sylvain Cabot dans le Rock&Folk de novembre. Dans Best, Hervé Picart estimait qu’après les expérimentations de The Elder, le groupe en était revenu à ce qu’il savait faire le mieux : un heavy metal dépourvu d’ambitions arty.
Je ne tardai pas à me procurer le Kiss cuvée 82.
Dès la première écoute, je constatai que nos éminents critiques de la presse rock généraliste avaient entièrement raison. I Love It Loud n’était pas une exception. Le contenu de Creatures... n'avait rien à voir avec la période Dynasty : fini le disco, exit la pop…
Cette fois, Kiss se rapprochait même de la puissance de l’un des groupes les plus heavy de l’époque : le Motörhead du père Lemmy ! Le son était lourd, puissant, fracassant. Jamais le groupe n’avait sonné ainsi. On était plus proche de l’esprit de la NWOBHM que du hard américain de l’époque ! Merci à l’avisé producteur Michael James Jackson !
Il est étonnant de constater que le très pesant Rock’nRoll Hell a été écrit par Bryan Adams et Jim Vallance (tout comme l’impressionnant War Machine qui clôture l’album).
Kiss n’avait pas sonné aussi méchamment depuis Rock’n’Roll Over. La différence, c’est qu’avec Creatures…, le groupe a (enfin !) fait son entrée dans les années 80. Ici, rien ne sonne « années 70 ». Saluons surtout la cohésion de l’ensemble. Nous n’avons pas là une chanson de Paul suivie d’une chanson de Gene, évoquant une compilation maladroitement agencée. Non ! Ce disque est cohérent. Il nous propose 4 titres de Paul et 5 de Gene (c’était avant que celui-ci ne sombre dans une longue hibernation qui durera 10 bonnes années). Les compos de Paul sont excellentes : Creatures Of The Night, le morceau d’ouverture est un hymne irrésistible et très heavy, Keep Me Comin’déménage bien aussi (Paul a rarement chanté ainsi,partant dans des aigus d’anthologie) et Danger termine efficacement la face A d’origine. Quant à I Still Love You, c’est un modèle de ballade hard qui ne sombre jamais dans la mièvrerie : les solos de gratte sont fantastiques et on a droit à 6 minutes de pur bonheur.
Mais la vedette principale de Creatures…, c’est Gene. On le sent réellement concerné et impliqué. Sa basse est menaçante et bien mise en avant. J’ai déjà dit un mot de Rock’n’Roll Hell qui aurait pu sonner comme un clone du Juke-Box Hero de Foreigner avec lequel il présente quelques similitudes. Imaginez donc un Foreigner qui se la jouerait méchamment heavy. Saint And Sinner est une bonne chanson aussi avec des chœurs entraînants et de bonnes parties de guitare. C’est cependant sur la face B que tout cela va atteindre son paroxysme : I Love It Loud est l’hymne barbare et destructeur dont j’ai longuement parlé plus haut : un morceau taillé pour la scène. Un classique du groupe ! Le titre résume à lui seul l’esprit metal.
Les deux dernières compositions, Killer et War Machine sont très lourdes et intenses.
A l’arrivée, il s’agit de l’un des meilleurs Kiss. Ce qui pouvait surprendre les vieux fans, c’étaient les solos de guitare : Ace pouvait-il avoir à ce point changé de style au point d’en être méconnaissable ? La réponse se trouvait dans les crédits : I Love It Loud, I Still Love You et Killer avaient été composés par un certain Vincent Cusano. Ce Monsieur allait jouer un grand rôle dans le Kiss de cette période. Cusano, guitariste de son état, allait remplacer Ace Frehley, alors dans la stratosphère. C’est lui qui joue sur la plupart des chansons de l’album. Son jeu est plus proche de celui d’un Randy Rhoads que d’un Frehley (cela n’est pas un jugement qualitatif, j’adore Ace). C’est Vinnie qui a apporté cette modernité au groupe et qui lui a permis de rivaliser avec les nouveaux venus de l’époque, Vinnie et son jeu sombre et torturé, Vinnie et ses compositions efficaces. Il n’allait d’ailleurs pas tarder à devenir officiellement membre du groupe sous le pseudo de Vinnie Vincent. Hélas pour lui, il allait bientôt définitivement basculer du côté obscur de la Force et succomber irrémédiablement à ses sombres démons intérieurs. Ses jours dans Kiss étaient comptés.
L’autre maillon fort de ce LP, c’est bien sûr le regretté Eric Carr dont le grand talent de batteur n’a jamais été plus éclatant qu’ici. Sa frappe lourde et puissante n’est pas pour rien dans la réussite du disque (merci à Niko Bolas et Rich Bosworth d’avoir su capturer les parties de batterie avec tant de talent).
Finissons sur une note négative : Creatures Of The Night a été enregistré dans des conditions très particulières : échec commercial des deux albums précédents, désengagement de Frehley, impossibilité (pour des raisons contractuelles) d’annoncer officiellement son départ, décès brutal de Neil Bogart, le patron de Casablanca…
Tout cela ne permit pas à ce fantastique album de recevoir l’accueil qu’il aurait mérité : Creatures… fut, comme l’admet Gene Simmons (qui l’adore), l’un de leurs plus gros bides commerciaux. Initialement, il ne fut même pas disque d’or aux Etats Unis (il ne recevra cette distinction qu’en 1994 soit 12 ans après sa sortie!) ... Enfin, que tout cela ne nous empêche pas de reprendre en chœur :
« Guilty ‘till I’m proven innocent
Whiplash heavy-metal accident
Rock on, I wanna be president
I love it loud, I wanna hear it loud
Right between the eyes”
En guise de conclusion, je me permets de reprendre le commentaire que j’avais laissé sur Nightfall sous un autre pseudo :
Creatures... est incontestablement l'une des pièces maîtresses du heavy- metal du début des années 80. A mon avis, il s'agit du 1er disque de Kiss à mériter cette appellation de heavy- metal, le groupe oeuvrant plutôt jusque-là dans le hard rock. Il s'agit du premier album d'une longue série à proposer une alternance de compos de Gene Simmons et Paul Stanley (les deux derniers membres d'origine du groupe). Contrairement à certains disques postérieurs sur lesquels Gene et Paul ne seront pas vraiment sur la même longueur d'ondes (Animalize, Asylum), ce qui frappe ici, c'est la cohésion de l'ensemble, ainsi que la force des morceaux. Stanley propose notamment les excellents Creatures of the night, Keep me comin' et le magnifique I still love you. Quant à Gene, il a rarement été aussi inspiré que sur Saint and sinner, Rock'n'roll hell, Killer et War machine. Ces morceaux sont lourds et dévastateurs. Les parties de guitare de Vinnie Vincent sont impressionnantes (même s'il ne prend pas tous les solos). N'oublions pas , bien sûr, l'hymne I love it loud, l'un des titres les plus emblématiques du groupe (le clip était très réussi). On regrettera que l'échec commercial initial de cet album ait amené le groupe à proposer un son un peu plus léché sur les deux albums suivants...