Un article paru dans Courrier International tiré de Asahi Shimbun...
Je pense que ça peut intéresser les fans du groupe !
JAPON • La jeunesse, la star et le bouddhisme
Dix ans après son suicide, Hide, du groupe de rock X Japan, garde sa légende intacte. Dans un temple de Tokyo, les fans multiplient les messages destinés au défunt.
Il y a tout juste dix ans, Hide (de son vrai nom Hideto Matsumoto), le guitariste du groupe de rock X Japan, s’est donné la mort à l’âge de 33 ans. Dans le temple Tsukiji-Honganji, à Tokyo, où une foule d’admirateurs vêtus de noir s’étaient rendus pour assister à ses funérailles [diffusées en direct à la télévision], ces mêmes fans continuent encore de laisser des messages pour le défunt, lesquels remplissent aujourd’hui 120 cahiers.
Dans ce lieu paisible, ils viennent confier ce qu’ils ont sur le cœur pour repartir avec la force de vivre le lendemain. Cette démarche psychologique intéresse aujourd’hui des spécialistes des religions. En compagnie de Norichika Horie, maître de conférences à la faculté de théologie de l’université Seishin-Joshi, je me suis rendu au temple.
Quittant la grande avenue, nous pénétrons dans le lieu saint par la porte principale. Nous sommes immédiatement impressionnés par le pavillon principal de pierre, construit dans l’ancien style bouddhique de l’Inde, qui se dresse juste devant nous. Après l’entrée dans l’édifice, le vacarme de la rue s’éteint. La présence quelque peu surprenante d’un orgue nous donne l’impression d’être dans une église, quelque part en Europe.
En mai 1998, la veillée funèbre et les obsèques de Hide avaient eu lieu dans cet endroit. Elles avaient attiré pas moins de 30 000 fans autour du temple. [Immédiatement après la disparition de la vedette, plusieurs fans s’étaient également donné la mort. Le groupe avait lancé un appel public demandant que personne ne suive leur exemple].
Le lendemain des funérailles, Jodo-Shinshu Tokyo Vihara [Bouddhisme de la Terre pure], une association bouddhiste d’aide humanitaire implantée dans le temple, avait mis à la disposition des admirateurs accablés par la douleur un premier cahier leur permettant de se livrer à l’introspection. Dans un coin du pavillon, sur une table recouverte d’un tissu violet, sont actuellement posés une quinzaine de cahiers récemment remplis.
Comme ce pavillon est le lieu où l’on vénère Bouddha, M. Horie demande s’il n’est pas contraire aux principes de la religion d’y honorer un défunt. Le directeur du bureau des affaires générales du temple, Kosuke Yoshikawa, nous explique qu’“il est vrai que ces activités sont en contradiction avec notre religion. Au début, nous avons hésité à les autoriser. Toutefois, un bon nombre de ces jeunes ont appris à connaître le bouddhisme à travers leur lien avec Hide...”
Avec Norichika Horie, nous feuilletons les cahiers. “C’est ma deuxième visite au Tsukuji-Hoganji”, peut-on y lire. “Je suis maintenant plus âgée que Hide au moment de sa mort… Cette année, cela fera dix ans. Cet endroit est vraiment apaisant… Je repasserai chaque fois que mon travail me conduira à Tokyo ! J’écris ce mot en écoutant le prêtre lire des soutras. 01/03/08.” Nous pouvons noter dans un autre cahier : “Tu sais, mon cher Hide, j’ai une question à te poser. Je voudrais savoir si la vie à laquelle j’ai renoncé, la vie précieuse dont je n’ai pas pu me charger, dort en paix auprès de toi.” L’auteure de ce texte était-elle une fille ayant subi un avortement ?
“Je suis rassurée. Merci, mon petit Hide”
Diverses enquêtes d’opinion révèlent que seulement 20 à 30 % des Japonais croient en une religion déterminée. L’une d’entre elles indique même que ce pourcentage est d’à peine 10 % chez les 20 à 29 ans. Il n’y a pas de doute que la plupart des jeunes qui ont noirci ces cahiers se prétendraient “non croyants”. On peut toutefois se demander si ces garçons et filles n’ont réellement aucun lien avec une religiosité. Ces dernières années, en théologie, on s’intéresse beaucoup au concept de spiritualité. Cela fait référence à l’existence d’une sorte de conscience religieuse, à la perception directe de quelque chose d’invisible, sans que cela passe nécessairement par la voie d’un courant religieux établi. Si ces études sont menées, c’est aussi pour mieux connaître le cœur de ceux qui se disent “non croyants”.
“Aujourd’hui, je suis allée au Centre national pour le cancer [situé à deux pas du temple]. Mes résultats étaient bons. Je suis rassurée. Merci, mon petit Hide”, lit-on dans un troisième cahier. Apparemment, chaque fois que cette femme va consulter un médecin au Centre, elle passe ici pour écrire quelques lignes. Nous sommes également tombés sur cet autre message. “Si certaines peuvent accueillir la vie, je m’apprête de mon côté à la supprimer. Hide, tu restes malgré tout près de moi. Qu’est-ce que cela signifie de vivre ? Je ne peux pas m’empêcher d’en avoir peur. Mais j’aimerais vivre pour ne pas avoir honte devant toi et tes amis, avec qui je communique à travers ces notes.” Soucis, amour, premier emploi... Après avoir relaté leur problème, la plupart des visiteurs demandent son avis au défunt. Nous avons aussi remarqué que les mots “Veille sur moi” reviennent souvent dans ces courts textes.
Tout de suite après les obsèques, des admirateurs avaient inscrit sur leur bras ou sur leur vêtement le nom bouddhique posthume du musicien, Shutokuinshakujion. Selon l’enseignement de l’école Jodo-Shinshu, une fois mort, Hide a dû devenir un bouddha. Cependant, pour autant que l’on regarde les cahiers les plus récents, rien ne laisse penser que les auteurs des propos professent une telle croyance dans le bouddhisme. “Les fans perçoivent Hide comme une présence spirituelle, très proche d’eux bien qu’invisible, sans lien avec la religion. Ils lui ouvrent leur cœur dans un coin du temple”, estime Norichika Horie. “C’est sans rapport avec la crainte ou le sentiment d’impureté que les personnes décédées inspirent traditionnellement aux Japonais. Chacun fait face à la mort individuellement à travers Hide, et jette un regard sur le chemin qu’il a parcouru. Et, entre eux, ils ressentent une solidarité.” Mais quelle différence y a-t-il entre un dieu et une présence spirituelle ? “Chacun vit sa vie et aimerait simplement que quelqu’un veille sur lui. Il ne cherche pas un salut”, poursuit Norichika Horie.
Ce que ces fans désirent, c’est un lien. “Ils veulent être reliés à Hide intérieurement et de manière abstraite.” Ce lien invisible leur permet de prendre conscience de leur moi.
Kazuya Omuro (c'est pas une insulte, c'est l'auteur !
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