Presque une demi-heure que je roule sous une pluie battante. Je jette un oeil sur le tableau de bord.
28/04/13 19:50 et le mercure est en dessous des 10 degrés.
Une virée dans la campagne anglaise? Non, on est bien à quelques bornes d'Aix En Provence au printemps.
Un temps de merde qui colle idéalement au quatuor américain formé par Agalloch qui savent merveilleusement
bien mettre en musique les paysages enneigés de leur Oregon natal.
Le groupe ne fait que deux dates relativement confidentielles en France (Nantes et Luynes) et chose surprenante,
ne passe pas par la capitale. J'arrive devant la salle à 20h pétantes, assez motivé, je l'avoue,
à l'idée de voir ce groupe que j'écoute et apprécie énormément depuis plusieurs années.
Grossière erreur qui me vaut d'attendre un quart d'heure sous la pluie que l'orga veuille bien ouvrir les portes

.
Une erreur de débutant.
Ça fait un moment que je sais que les premiers groupes ne jouent généralement qu'une heure après l'ouverture des portes,
que les balances ont tendance à traîner, qu'une orga dans le sud-est de la France n'aura jamais la ponctualité d'un train suisse
et qu'il ne sert à rien de faire la queue à l'entrée à l'ouverture, quand tu rentres sans souci une demi heure plus tard.
Je sais tout ça mais ce soir n'est pas un soir comme les autres. Quelque chose me dit que je vais voir un putain de concert.
Un événement rare et j'ai bien envie d'être aux premières loges.
Agalloch bon sang. Je me revois découvrant ce groupe alors que je vivais dans les Hautes Alpes et que je passais une bonne partie de mon temps à randonner seul dans de superbes paysages montagneux. Quelle meilleure bande son qu'Agalloch
pour décrire la beauté de la nature?
Moonsorrow? Oui mais pas tout à fait. Il manque un petit côté mélancolique et introspectif.
Wolves in the throne room? Aussi. Mais trop black, trop véloce.
Immortal? Ouais mais trop de grimaces
Non Agalloch. Définitivement.
20h30 et je rentre enfin dans la salle du Korigan déjà convenablement remplie. Je me cale tranquillement dans les premiers rangs
et regarde l'affluence augmenter. On n'est quand même pas bien loin du sold-out. On respire dans la fosse mais il y a du monde ce soir et ça fait plaisir. Je n'y croyais pas personnellement, habitué que je suis à voir des orgas à Toulouse, faire des fours avec des
Nile, des Septicflesh, des Samael ou des Marduk en tête d'affiche. Alors Agalloch? Un dimanche soir? Aïe c'est mal barré.
Que nenni! Contrairement à Toulouse, il semble clairement y avoir un public pour l'extrême dans le sud-est qui répond présent.
Fen, qui officie comme première partie sur cette tournée, ouvre les hostilités à 21h.
Le trio britannique nous sert un black metal atmosphérique bien maîtrisé et acquiert rapidement le public à sa cause.
Je n'ai rien contre les premières parties qui détonnent un peu avec la tête d'affiche, mais le choix de Fen en groupe d'ouverture
est vraiment bien vu. Ça reste assez proche de ce que fait Agalloch tout en ne sonnant pas comme une vulgaire copie.
Les anglais, forts de trois albums, ont leur personnalité bien affirmée et leur musique fait tour à tour penser à Primordial
sur quelques envolées épiques ou à Wolves in the Throne Room sur les passages plus black.
Le son est net (la batterie un peu trop en avant mais ça va) et met en valeur l'excellent jeu des zicos, notamment le batteur
justement, qui a un jeu très varié et fort agréable à l'écoute (un peu de finesse sur les accalmies, grosses frappes bien lourdes
sur les passages plus doom et bien sûr les blast beats de rigueur). Fen quitte la scène au bout de trois quart d'heure environ
sous les applaudissements. Un très bon set et un groupe à suivre.
Mais il est temps de passer au plat de résistance. Après une rapide balance effectuée par les roadies du groupe, John Haughm
arrive sur scène. Pas un bruit dans le public. Les gens ne doivent pas savoir à quoi il ressemble. Même si j'avoue qu'à part
lui (qu'on voit distinctement dans le clip de "Not unlike the waves"), je ne saurais mettre un visage sur les autres membres
du groupe. Le maître à penser du combo dispose des encensoirs un peu partout sur scène de manière quasi religieuse. Il allume
l'encens, puis est rejoint par un gars qui au premier abord me semble être un roadie, sauf qu'il s'agit du batteur du groupe!
En fin de compte, seul Haughm, son air mystérieux et ses longs cheveux noirs, collent bien avec l'image que l'on peut se faire
d'un membre d'Agalloch. Et c'est bien le seul. Le bassiste et l'autre guitariste pourraient très bien jouer dans Coldplay

.
Quant à ce fameux batteur, il est plus âgé que les autres (42 ans pour être précis - merci metal archives) et son air cool,
ses mimiques assez marrantes lorsqu'il joue, ses tatouages, sa coupe de cheveux (courts, plaqués en arrière et un peu gominés)
font plus penser à un vieux batteur de groupe de punk sur le retour qu'à un jeune batteur affuté adepte de metal extrême.
Et ça fait vraiment bizarre de voir un gars qui ne dépareillerait pas chez Social Distortion ou Bad Religion

balancer
des blast beats!
Cet effet de surprise est cependant vite balayé lorsque les américains entament le premier morceau du set, "Limbs" qui ouvre également leur troisième album "Ashes Against The Grain". La montée en puissance du morceau fait vibrer le public, qui dès l'entame du concert lève les poings et s'agite en rythme jusqu'à ce que la voix hargneuse de Haughm fasse éclater l'orage.
Ce premier morceau résume d'ailleurs bien l'approche d'Agalloch où chaque passage se combine harmonieusement pour donner l'impression de traverser différents climats, de la contemplation d'un paysage idyllique baigné de calme à la violence d'une tempête de neige qui emporte tout sur son passage.
S'ensuit l'excellent "Ghosts of midwinter fires" qui sera le seul extrait du dernier album en date ("Marrow of the spirit"), un
extrait de "Pale Folklore" puis un petit morceau de... 20 minutes: "Faustian echoes". Je ne l'ai écouté qu'une paire de fois
avant le concert et j'avais eu du mal à rentrer dedans. Sur scène, le morceau prend une toute autre dimension entre des moments
de bravoure digne des premiers intrumentaux de Metallica (notamment "Orion") et des passages black plus violents particulièrement efficaces. Les 20 minutes passent très vite. A la fin du morceau, Haughm (qui est relativement peu loquace) dédie le morceau au génie de Blut Aus Nord. Décidément, après Alan Nemtheanga de Primordial qui cite volontiers Deathspell Omega en interview, on peut dire que la scène black française a la côte

.
Le reste du set est plus axé sur les deux premiers albums du groupe, qui sonnent plus folk que les productions récentes.
Il faut d'aileurs quasiment attendre la moitié du concert pour entendre la voix claire de John Haughm. Malheureusement, cette dernière est un peu le talon d'Achille du groupe, tant le vocaliste a du mal à chanter de manière harmonieuse. Ça handicape un peu les deux extraits de "The Mantle" que sont les excellents "You Were But A Ghost In My Arms" et "In the shadow of our pale companion" (encore un morceau de presque 15 minutes qui passe comme une lettre à la poste) mais ça ne gâche clairement pas le plaisir car hormis ce détail, l'interprétation de tous ces morceaux longs et parfois complexes est impeccable.
On approche de la fin du set et Haughm propose d'arrêter de jouer des morceaux d'une heure pour un petit moment

.
Le temps de rendre hommage au groupe de folk anglais Sol Invictus avec le morceau "Kneel to the cross" pendant lequel le
public scande le refrain: "Summer is a-coming in; Arise, Arise!". Bizaremment, la voix claire de Haughm ne lui fait pas défaut
un seul instant pendant ce morceau.
Le groupe quitte la scène et revient pour un dernier morceau dantesque "Our fortress is burning" extrait d'"Ashes Against The Grain". Haughm livre une dernière performance particulièrement habitée sur ce titre, hurlant d'un cri primaire sur les dernières minutes et martyrisant sa guitare. Devant un public en liesse, il finit par enlever calmement les encensoirs et s'en va après un laconique "Aurevoir" (en français dans le texte). On se croirait presque chez The Devil's Blood

.
Ainsi s'achève un concert mémorable de près de deux heures (qui finira sûrement dans mon top 3 de cette année). Entre la durée du show, l'excellente playlist et la très bonne première partie, Agalloch ne s'est vraiment pas foutu de nous. Dommage pour le Hellfest, qui a loupé le coche cette année du moins et pour les nombreux fans qui auraient sûrement aimé d'autres dates en France.
Moi en tout cas, je sors conquis du Korigan. Dehors, la pluie s'est encore intensifiée.
Comme si l'orage répondait aux cris de John Haughm.
Playlist Agalloch:
Limbs
Ghosts of the Midwinter Fires
Hallways of Enchanted Ebony
Faustian Echoes
The Melancholy Spirit
You Were But a Ghost in My Arms
Dead Winter Days
In the Shadow of Our Pale Companion
Kneel to the Cross (Sol Invictus cover)
Rappel:
Our Fortress is Burning... I
Our Fortress is Burning... II: Bloodbirds